Cherchez la source, pour éviter le ridicule
« On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés. »
J’ai longtemps paradé dans les salons avec Diderot et sa maxime littéraire dont j’appréciais les lectures multiples. Quel philosophe, quelle intelligence, disait-on (en parlant de lui mais je prenais ça pour moi). On félicitait ma culture, on saluait mon à-propos. Je rayonnais, fier de mon succès, me pavanant, me rengorgeant.
Puis un jour, bêtement, victime sans doute de cette fatigante curiosité propre aux journalistes, je cherchai la source exacte et son contexte, pour pouvoir briller un peu plus.
Je trouvai rapidement : Le Neveu de Rameau.
En feuilletant fébrilement, je tombe sur le passage cherché, ravi et soulagé de la trouvaille. Mais à la lecture, horreur et putréfaction, je saisis tout à coup l’étendue du malentendu et de ma honte. Cette phrase que je prenais pour le summum de la philosophie sur la sagesse, la vieillesse et la sérénité, cette phrase compliquée et si lourde de second degré, cette phrase qui bâtit mon succès littéraire n’était qu’un simple conseil libertin d’hygiène mentale et physique...
Voici le passage de ma honte, expliqué par l'IA Gemini qui ne sait pas pourquoi je lui demande cela:
Cette réplique intervient dans une discussion entre Moi (le Philosophe, représentant souvent la voix de Diderot) et Lui (le Neveu, représentant l'artiste bohème cynique et subversif) sur la manière de réussir et de s'adapter au monde. Le Neveu défend l'idée qu'il faut se faire à la société telle qu'elle est, en acceptant ses vices et en tirant profit de toutes les situations, même les moins morales.
Il est en train d'expliquer au Philosophe que le contact avec le "mauvais monde" n'est pas uniquement néfaste, car il permet une forme d'émancipation intellectuelle et morale en se débarrassant des illusions de l'enfance et des principes moraux rigides (les préjugés).
Voici le passage complet où apparaît cette phrase :
« Lui : Vous avez bien raison ; mais il y a des occasions qui vous manquent. Croyez-vous que si j’avais eu un père comme le vôtre, le fils de la bonne femme du bourg, il en fût de moi comme il en est ?
Moi : Mais la morale est la même pour le fils du bon homme et pour le fils de l’homme de bien.
Lui : Je le crois ; mais la morale du neveu de Rameau est-elle la vôtre ? Moi, je tire parti de la mauvaise compagnie, comme du libertinage. On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés. C'est dans le désordre, dans le tumulte, dans la crapule des mauvais lieux, que je fais mes réflexions et que je prends mes grandes mesures. »
Pardon mes chers amis, mes auditeurs hier ébahis aujourd'hui circonspects, je vous demande humblement pardon et je jure désormais de toujours chercher la source avant de parler de ce que je ne sais pas. Plus jamais d'ultracrepidarianisme :
Sutor ne ultra crepidam
"Cordonnier, pas plus haut que la chaussure" ( En français courant : "Occupe-toi de tes fesses").Wikipedia: "Dans l'Histoire naturelle [XXXV, 85[1] (Loeb IX, 323–325)] Pline écrit qu'un cordonnier (sutor) s'était approché du peintre Apelle pour lui signaler une erreur dans la représentation d'une sandale (crepida du grec krepis). Le peintre corrigea aussitôt son œuvre. Encouragé, le cordonnier commença à faire d'autres remarques sur d'autres erreurs qu'il considérait dans cette peinture, ce à quoi le peintre répondit : « Nē suprā crepidam sūtor iūdicāret. » (Un cordonnier ne devrait pas donner son avis plus haut que la chaussure.) Le conseil était devenu proverbe."
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